Zhaoxing, le village indigo

Posté par: Véronique Debuyser Dans: online Sur: Commentaire: 0 Frappé: 384

Zhaoxing, le village indigo

Aux confins du Guizhou, du Guanxi et du Hunan, en plein cœur du pays Dong,  Zhaoxing s’enroule autour de la rivière, enserré dans la passe qui ouvre sur un large cirque de champs en terrasses parsemé de petits villages Dong reconnaissables à leur fameuse tour du Tambour.

Zhaoxing en possède cinq, comme les cinq clans qui sont à l’origine du village, et autant de ponts du Vent et de la Pluie, ces ponts couverts caractéristiques, eux aussi, de l’architecture traditionnelle. Les Dong construisent en bois, de hautes maisons de trois étages, spacieuses, agrémentées d’une terrasse couverte à l’étage d’habitation, et toutes, intimement imbriquées les unes dans les autres. L’étroitesse des ruelles qui serpentent entre les maisons laisse à peine laisser passer la lumière. Vu des hautes collines qui surplombent le village, c’est  une mer d’ardoise qui s’offre au regard, juste trouée par le cours de la rivière et dominée par les toits superposés des tours qui pointent vers le ciel. Dès la sortie du village, les champs en terrasses grimpent à l’assaut des montagnes arrondies. Le paysage serein semblerait issu d’un siècle lointain si n’étaient les nouveaux bâtiments de l’école, le ruban de la route qui s’enfonce dans les rizières et les quelques paraboles qui ne parviennent pas à en détruire l’harmonie.

 

Les tours du Tambour, à l’origine tours de défense qui servaient à ameuter la population en cas de danger dans ces villages dépourvus de murs protecteurs, sont maintenant lieux de réunion et de papotage pour les gens du village. Leurs toits en escaliers, soulignés de blanc, organisés autour d’une charpente carrée ou hexagonale, les rendent visibles à des kilomètres à la ronde et confèrent à ces pauvres villages une forme de majesté.

 

Mais l’intérêt de Zhaoxing ne tient pas uniquement dans son architecture, si particulière et préservée soit-elle. Le village tout entier bruit de son activité de toujours, la fabrication de ce tissu noir dont est fait le costume traditionnel. Les murs qui bordent la rivière, les pavés et les mains des femmes sont teintés du violet profond de l’indigo.

 

Les mêmes gestes, répétés depuis des générations, occupent celles qui ne sont pas aux champs. Les clac-clac des maillets qui frappent le tissu pour le lustrer résonnent de ruelle en ruelle. Au bord de la rivière, des femmes lavent les bandes de tissu qui vont ensuite sécher sur les étendoirs en bambous qui garnissent les pas de porte ou les terrasses. D’autres bandes d’une dizaine de mètres, à peine sorties d’une cuve au liquide noirâtre, sont étalées sur les pavés. Une vieille femme, sur un petit tabouret devant sa porte, de grosses lunettes arrimées sur un bonnet, coud des boutons sur une veste. Sa voisine, elle aussi, assise dehors pour profiter de la lumière qui pénètre peu dans les maisons, fait tourner un rouet certainement hérité de ses ancêtres. Une autre, assise sur ses talons, dans cette position si familière à tous les peuples d’Asie, fait claquer à intervalles réguliers son marteau de bois sur une bande de tissu posée sur un billot de bois, qu’une autre femme tourne régulièrement afin d’effacer les éventuels plis.

 

Toutes sont vêtues de la tenue noire qui est leur costume usuel, pantalon et veste à fermeture croisée sur le côté à peine rehaussée de broderies foncées, aussi sobre que leur costume de fête est flamboyant. Leurs longs cheveux sont enroulés autour d’un peigne sur le côté du crâne, en souvenir du soufflet infligé par un dieu à l’une de leurs ancêtres, qui lui en a décalé le chignon.

 

Un bruit différent, plus glissé, provient d’une terrasse d’où pendent des écheveaux de fils encore blancs. Dans le fond, une vieille femme, équipée elle aussi de lunettes à grosses montures d’un autre âge s’active sur son métier à tisser tandis qu’une autre parcourt inlassablement l’espace restant de la terrasse tirant derrière elle les fils provenant de plusieurs quenouilles et les enroulant successivement en zigzag sur deux rangées de piquets espacée d’environ trois mètres.

 

Un autre son… encore un battement, mais  lourd, mouillé, sort d’un rez-de-chaussée, espace dévolu au travail et aux bêtes. Un homme fait levier avec son pied pour actionner un long pilon de bois qui retombe dans une grande coupelle de pierre. Une vieille femme édentée et souriante–sa mère sans doute- accroupie à côté de la coupelle retourne sans cesse les écheveaux de fils mouillés qui sont écrasés à intervalles réguliers par le billot. Les mêmes gestes que les générations précédentes sur les mêmes outils, hérités d’un passé ancien mais toujours vivaces.

 

Sur une place, à l’ombre de la tour, une femme s’est harnachée sur le ventre un rouleau horizontal de fils emmêlés. L’extrémité des ces fils la relient à un autre rouleau attaché lui à un large poteau planté sur la place. Elle recule progressivement, déroulant son amas de fils que d’autres femmes peignent, démêlent, scrutent avec concentration. Leur œil exercé a tôt fait de repérer un fil cassé et leurs doigts habiles de le renouer avec art.

 

Ainsi vont les jours de ce paisible village, entre travaux des champs et confection de tissu. Les commerçantes, assises dans l’attente du client sur le pas de la porte, brodent ou martèlent le tissu. Une femme revient de la montagne chargée de fagots de branches sur sa palanche. Des hommes passent, une houe sur l’épaule, leur drôle de panier en forme de babouche fixé à la ceinture, parfaitement adapté à la faucille. Deux très vieilles femmes, ratatinées sur elles-mêmes, sont assises sous la tour.

Au petit matin, tous les habitants nettoient collectivement les rues du village de tous les détritus abandonnés au fil de la journée précédente. Cette solidarité dans le travail, nous la retrouverons à Tang’an… prochain épisode.

 

Zhaoxing possède aussi bien sûr ses restaurants, ses magasins d’antiquités et de broderies ethniques, ses guest-houses et même un hôtel 3 étoiles. Mais les touristes, encore peu nombreux dans cette contrée longtemps isolée, n’ont pas encore imprimé de marque trop profonde dans la vie de la majorité des habitants qui continuent, bon gré mal gré, à vivre le quotidien des générations qui les ont précédés.

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